Dans ce quatrième podcast de notre émission Parlons Tertiaire, diffusée sur Radio Immo le 20 juillet 2022, Chloé Rayssac et Bérénice Deville reçoivent Odile Batsere, Directrice RSE & Innovation chez Société de la Tour Eiffel, et Benjamin Mercuriali, Fondateur d’AEGILIM. Dans cet épisode, nous abordons le sujet du décret tertiaire mis en place dans le cadre de la loi Elan, et plus précisément toute la partie opérationnelle. Ce sujet très récent suscite de nombreux questionnements et inquiétudes et nous essayons d'y voir un peu plus clair dans le cadre de ce podcast. Nous abordons également la plateforme OPERAT, la plateforme créée pour répondre aux exigences du décret tertiaire.
Bonne écoute !
Bérénice Deville :
Odile, pourriez-vous nous présenter la Société de la Tour Eiffel en quelques mots ?
Odile Batsere, Directrice RSE & Innovation chez Société de la Tour Eiffel :
Alors la Société de la Tour Eiffel c'est une foncière tertiaire dont le patrimoine représente à peu près 1,8 milliard d'€, et situé 25% en région, 75% à Paris. Nous avons à peu près 70 sites, environ 200 bâtiments et 400 locataires. Et donc nous sommes principalement intéressés par le décret tertiaire.
Bérénice Deville :
Benjamin, pourriez-vous nous présenter AEGILIM en quelques mots ?
Benjamin Mercuriali, Fondateur d'AEGILIM :
AEGILIM est une jeune société de conseil et de service, créée autour de la notion de l'amélioration de l'efficacité énergétique pour les bâtiments tertiaires.
Chloé Rayssac :
Lors du dernier podcast, nous avions abordé un sujet d’actualité : le label ISR et les critères ESG. Aujourd’hui, dans la même thématique, nous allons parler du décret tertiaire et plus précisément de ce qu’il se passe au niveau opérationnel.
L’idée de cette série de podcast est de plonger au cœur des métiers de la gestion de patrimoine immobilier, comprendre les sujets du quotidien de ces acteurs et mettre les mains dans le cambouis, en osant parler librement de tous les sujets mêmes ceux qui fâchent.
Comme vous l’avez compris, les sujets environnementaux prennent une place de plus en plus importante dans l’actualité, de manière générale, mais aussi en immobilier, que ce soit avec les critères ESG et le label ISR, ou avec le décret tertiaire.
Pour rappel, pour ceux qui ne l’aurait pas vu passer, le décret tertiaire fait partie de la loi Élan qui impose une réduction de la consommation énergétique du parc tertiaire français. Ces objectifs sont clairs : réduire jusqu’à 60% les consommations énergétiques des bâtiments d’ici 2050.
Depuis son entrée en vigueur en octobre 2019 et jusqu’à aujourd’hui, le sujet est au cœur des discussions des acteurs en immobilier et plusieurs questions se posent sur les premières déclarations à effectuer sur la plateforme OPERAT, plateforme créée spécialement par l’ADEME pour répondre aux exigences du décret tertiaire.
C’est pour essayer d’y voir plus clair que nous avons invité aujourd'hui Benjamin et Odile.
Pourquoi on a décidé d’en parler aujourd’hui ? Bazimo n'est pas spécialisé dans la partie consommations énergétiques, mais il y a toute une partie des déclarations et d'informations générales qui sont présentes dans Bazimo donc de plus en plus de clients s'en servent pour déclarer directement les données. On a également beaucoup d'échanges au niveau des espaces locataires pour informer les locataires sur, par exemple, l'identifiant bâtimentaire, transmettre les quotes part énergétiques... ce genre d'informations dont ils ont besoin. Et donc on avait envie d'aborder le sujet avec vous aujourd'hui.
Donc en théorie on dit beaucoup qu'il faut communiquer les informations énergétiques aux locataires et c'est le locataire qui doit saisir les données. Donc ça, c'est la théorie. Mais on voit qu'il y a de plus en plus de mandats qui sont signés justement pour que les propriétaires fassent tout à la place des locataires. L'idée, c'était de savoir aujourd'hui quel est votre expérience, comment ça se met en place et comment vous, vous fonctionnez autour de ça ?
Odile Batsere :
En fait, chez Société de la tour Eiffel, on a aujourd'hui les deux actions qui sont en cours. On est engagé sur le décret tertiaire depuis quelque temps déjà, on a très nettement senti avec Benjamin cette volonté du législateur de porter toute la responsabilité de la déclaration sur le locataire. Sur l'occupant en tout cas, et très vraisemblablement parce que l'occupant a aussi sa part d'actions à mener pour réduire ses consommations. Donc ça, c'est très clair. Maintenant, je vous l'ai dit tout à l'heure, on a un patrimoine qui mesure à peu près 620 000 mètres carrés avec 400 locataires. On a des gros groupes bien sûr, mais on a aussi beaucoup de PME, TPE et ces chefs d'entreprises n'ont pas forcément la compétence et la motivation nécessaire. Ils ont souvent d'autres soucis en ce moment que ces soucis-là. Et donc on a proposé à nos locataires de les accompagner sur ces sujets du décret tertiaire.
Il faut bien comprendre que nous nous sommes prêts aujourd'hui, avec la connaissance des consommations énergétiques des bâtiments que Benjamin nous a apporté et avec un travail informatique également qu'on a mené, on est tout à fait prêt à donner les quote part de chaque locataire. Mais le propriétaire a aussi besoin d'avoir cette connaissance du fonctionnement, du profil consommateur de son immeuble et c'est pour ça qu'il a un travail d'échange qui a été réalisé avec nos locataires. On a aussi cette particularité d'avoir une proximité avec les locataires et donc ça nous a permis d'avoir cette double proposition : soit on leur envoie leur quote part, soit on déclare pour eux.
Benjamin Mercuriali :
Je crois qu’évidemment on voit beaucoup de mandatement, ce que tu évoquais, mais que ça ne répond pas toujours aux mêmes objectifs. Quand vous avez un propriétaire qui a une vocation durable, pérenne, il a besoin de ces informations, ne serait-ce que pour qualifier la qualité de sa gestion des actions qu'il a menées et qualifier les théories qu'il est parti rechercher avec les actions menées. Et c'est sûr que c'est un métier de spécialiste. Il a besoin d'aide.
À l'inverse, si on ne met pas les consommations dans les mains des locataires, c'est difficile de leur demander de s'en saisir. Ils ne connaissent pas, ils ne savent pas ce qu'ils consomment. On est dans un bâtiment de bureaux, si on demandait ici ce que consomme le plateau du rez-de-chaussée et qu'est-ce que ça représente, en fait, personne ne sait. Donc je pense que la stratégie très vertueuse mise en place par la Société de la Tour Eiffel est là. C'est le fait de dire depuis longtemps on le traite parce qu'on veut une gestion durable et environnementale vertueuse. Mais quelque part, cette avance leur a permis aussi d'offrir le service d'accompagnement aux locataires. Et je crois, malgré tout, la vertu de ce texte, c'est d'obliger les acteurs à se parler, et d'autre chose que du bail, de la facture... des choses peut être plus classiques.
Chloé Rayssac :
Odile, sur quel périmètre vous vous êtes fait accompagner exactement ?
Bérénice Deville :
La Société de la tour Eiffel est engagée depuis dix ans dans les sujets environnementaux. On a été membre fondateur de l'OID, on a participé au plan bâtiment durable, on a signé la fameuse charte pour l'amélioration de l'efficacité des bâtiments tertiaires, du public et du privé. Donc, c'est un engagement de longue haleine.
Aujourd'hui, sur sujet du décret tertiaire, on a demandé à Benjamin de nous accompagner déjà en 2020. Donc ça a été un travail vraiment qui a nécessité beaucoup d'investissement temps, de compréhension, etc. On a aussi beaucoup parlé avec nos locataires. L'année dernière, on a fait des road show pour les locataires principaux, on était en one to one, on avait créé une vraie présentation Tour Eiffel du décret tertiaire, pour leur expliquer quelles étaient leurs responsabilités, les nôtres, etc. Parce qu'il y a l'après aussi, il y a des plans d'actions.... Et les comités environnementaux ont tous fait l'objet d'une présentation du décret tertiaire également. Cette année on a commencé à leur écrire un premier mail, un deuxième mail, un courrier recommandé. Et on a encore des locataires aujourd'hui qui n'ont pas compris leurs obligations ou qui n'ont pas répondu à nos sollicitations. On a à peu près 25 % des locataires qui nous ont demandé de les accompagner et 25 % qui nous ont dit non. Et puis il y a le in between, il y a 50 % qui sont encore indécis. Donc quand on vous dit qu'il y a un vent de panique, vous le disiez en introduction, je pense qu'il n'est pas terminé, il va y avoir encore quelques surprises. Mais voilà, les solutions qu'on propose sont aussi en fonction du profil de nos locataires.
Depuis deux ans, on travaille quasiment quotidiennement avec AEGILIM. Alors il y a des périodes plus ou moins intenses. Mais Benjamin nous a apporté toute la fiabilité de la donnée. Ça, je pense que c'est très important. Trop souvent les données ne sont pas constantes, il y a des manques.
On a aussi beaucoup travaillé avec Benjamin sur les synoptiques des bâtiments, sur l'inventaire des PDL. Ça a l'air idiot, mais c'est un très gros travail qui est d'ailleurs le préalable à tout le reste. Donc c'est vraiment un partenariat depuis deux ans, et quand je parle, ce n'est pas Benjamin et moi, c'est Benjamin et la société de la tour Eiffel, parce que toutes les équipes techniques le connaissent, connaissent ses équipes. Enfin, vraiment, on travaille main dans la main depuis 24 mois, je pense.
Benjamin Mercuriali :
C'est vrai que souvent, on cite la Société de la Tour Eiffel, mais il y a les équipes aussi.
Quand on prend le sujet avec un peu d'anticipation et qu'on se dit que c'est un sujet d'asset manager, ça joue sur la valeur et sa création. Et bien évidemment, on peut se dire c'est une délégation, une signature et ce sera fait. Nous, ce qu'on a essayé de porter comme discours, ce qui a été écouté, parce qu'effectivement il y a des acteurs qui veulent vraiment faire, c'est que si on veut capitaliser sur tout ce travail de connaissance, de compréhension, il faut vraiment l'avoir fait, vraiment l'avoir maîtrisé et que c'est comme ça qu'effectivement aujourd'hui on est en capacité soit de faire pour "compte de", soit proposer aux "compte de" d'avoir, soit simplement de se mettre à disposition pour expliquer. Encore une fois, on parle de vent de panique. Moi, je parlerais surtout d'une grande incompréhension. Vous ne trouvez quasiment plus personne qui va vous dire : moi sauver la planète, ce n’est pas mon sujet. Cependant, des gens qui vont vous dire : moi, sauver la planète avec grand plaisir, mais qu'est-ce que je peux faire ? Et puis on parle quand même d'une déclaration qui va être faite pour la première fois d'un texte qui a mis dix ans à sortir. C'est un accompagnement qui est vraiment complet et ne doit pas s'intéresser qu'à cet exercice de reporting. Évidemment, quand vous parlez à un locataire, il l'a paye, l'énergie, dans ses charges. Donc oui, on a aussi fait un travail de réflexion autour de comment est-ce qu'on va sécuriser ces prix ? Grand bien nous a pris, même si encore une fois, on ne pouvait pas anticiper les évènements survenus depuis 2020. Donc en le traitant de manière extrêmement systémique et extrêmement immobilière, c'est à dire pas comme juste une plateforme ou un bureau d'études, un ingénieur, je pense qu'effectivement on a su développer un accompagnement qui est un peu différent. Et oui, c'est vrai, quand on est là, on est très présent, mais juste parce qu'il y a beaucoup à faire et beaucoup à transmettre. Il ne suffit pas de faire un bon rapport, il faut s'assurer ensuite que tout ce qu'on a fait est utilisable tout de suite par Société de la Tour Eiffel.
Bérénice Deville :
Et d'ailleurs ça va être utilisable aussi pour les étapes suivantes. On a prolongé la mission de Benjamin parce qu'il a une telle connaissance maintenant de nos actifs ou des profils consommateurs de nos actifs que pour toute la mise en place des plans d'actions, l'identification des actions à mener, etc., il va nous accompagner.
Chloé Rayssac :
En interne on voit que vous aviez déjà pris le sujet en main avant la mission, donc ensuite, vous vous êtes fait accompagner par Benjamin et ses équipes. Mais du coup, Benjamin, aujourd'hui, quel est ton constat ? J'ai l'impression qu'il y a quand même une tendance pour certains propriétaires, contrairement à vous, de sous-traiter presque à 100 % la prestation à des cabinets. On le voit sur d'autres choses, mais je trouve que c'est assez important aujourd'hui sur la partie décret tertiaire où on nous donne un peu les clés alors qu'au final les prestataires se retournent vers les équipes en interne, notamment la gestion technique. Quel est ton constat là-dessus aujourd'hui ?
Benjamin Mercuriali :
Nous on constate que vous avez tout à fait raison. Il y a un certain niveau de délégation et de recherche de délégation. Finalement, si on reprend le parallèle avec ce que disait Odile tout à l'heure, c'est un peu comme les locataires, vous avez quand même 20, 25 % aujourd'hui de propriétaires qui ont conscience que traiter le durable, c'est aussi quelque part défendre sa valeur. Donc on va dire qu'il y aurait un quart d'asset managers qui vise la green value ou l'asset management vert. Évidement tout ça, ça coûte, ce sont des équipes, c'est du point mort, ce sont des décisions de gestion, ça ne se fait pas d'un claquement de doigts. Et donc il y a aussi un peu d'attentisme sur comment est-ce qu'on transforme ces contraintes en opportunité et est-ce vraiment faisable ? Puisque la valeur verte, on en parle depuis quand même quelques années. Et puis, il y a quand même encore quelques réfractaires qui aujourd'hui s'alimentent de la complexité du texte.
Ensuite, dans les niveaux de délégation, ce qu'on voit beaucoup aujourd'hui, ce sont des demandes de conseils, d'explications un peu pointues et finalement à des niveaux élevés dans les organigrammes des clients. Donc, on parle de comités de direction qui veulent une explication précise parce qu'ils en ont assez de se faire balader d'un site à un autre. Ça, c'est pour tout ce qui va être la stratégie.
Ensuite, il y a de très grosses délégations sur le reporting mais qui finalement, pour être mis en place, nécessitent que le bailleur et le preneur se parlent. Donc si vous déléguez à AEGILIM la totalité, finalement je viendrai vous tenir le micro alternativement à l'un et à l'autre et puis j'expliquerai. Mais il y a aussi ensuite des externalisations différentes qui sont aujourd'hui plutôt des stratégies d'efficacité et qui visent à utiliser les outils de l'asset manager pour traiter les thématiques les unes après les autres. Dans le premier objectif à atteindre d'ici à 2030, on a quand même à traiter toute la mise en place de la gestion technique centralisée des bâtiments. Donc, évidemment, certains acteurs aujourd'hui font du plan stratégique à dix ans pour savoir par où il passe, pour cocher l'ensemble des cases du réglementaire et en même temps ne pas surinvestir.
Enfin, faire 60 % d'économie dans un immeuble, ça nécessite un peu de travaux. Ça nécessite une excellente gestion évidemment, mais in fine, il faudra quand même passer par des CAPEX. Et donc l'orientation précise de ces CAPEX, c'est quand même un sujet de délégation aussi. Donc je n’ai pas vu de délégations de tout, surtout par les mêmes acteurs. Je confirme, il y a beaucoup de délégations d’une ou plusieurs des missions que je viens de détailler. Et puis ensuite il y a des organisations très différentes dans le marché de l'immobilier, entre des acteurs de fond de fonds, avec de l'asset management externalisé et des acteurs à gestion intégrée comme la Société de la Tour Eiffel. Chacun a vu midi à sa porte en terme de business model, donc c'est sûr que la société de gestion, qui considère que l'asset management peut être externalisé, ne doute pas que le décret tertiaire puisse être externalisé. À l'inverse, les acteurs qui ont internalisé en se disant, en période de difficultés sur l'immobilier, la maîtrise de mon immeuble, de mes charges, de mon sous-jacent va être clé, ont plutôt tendance à sous déléguer une partie des missions et finalement à venir chercher le conseil, la vision, l'anticipation et en vrai, l'expérience de ce qui a déjà marché.
Ces acteurs-là ont décidé de capter cette valeur là et de la garder en interne, comme ils ont capté la valeur de la gestion. C'est plutôt ça que je constate sur le marché. Je constate que les tout premiers qui avaient délégué en masse n'avaient pas forcément délégué une volonté d'exploitation de ces données et certains reprennent la copie au début aujourd'hui. Parce qu'il faut savoir exactement ce qu'on regarde pour pouvoir l'utiliser.
Bérénice Deville :
Et j'ajouterai une chose, c'est que c'est certainement une force d'avoir une gestion internalisée pour faire face à ces sujets et ça nous donne aussi une autre force. Mais que vous connaissez bien, c'est le sujet de la data.
Donc ça, on a une connaissance bien meilleure de nos actifs, indubitablement.
Chloé Rayssac :
Un dernier mot pour conclure ou un message à faire passer ?
Bérénice Deville :
Je dirais qu'il ne faut pas oublier que l'objectif du décret tertiaire c'est quand même de réduire les consommations d'énergie et donc d'émissions de gaz à effet de serre. C'est l'objectif final qu'on quelquefois un peu à tendance à oublier parce qu'on est sur la plateforme OPERAT, on est dans les données justement, etc. Mais à terme, les rendez-vous du décret tertiaire ce sont des rendez-vous environnementaux.
Et l'énergie n'est pas le seul sujet. Chez Tour Eiffel on travaille également beaucoup sur la biodiversité, les sujets d'adaptation des bâtiments...
Benjamin Mercuriali :
Je pense qu'effectivement on voit émerger de nouveaux métiers. Je pense que l'asset management est en train de changer. La gestion immobilière, va changer et honnêtement je trouve ça très bien. Il faut aller dans ce sens-là. Il faut s'occuper des immeubles, il faut les optimiser, ne pas oublier les gens qui sont dedans. Et puis, après deux années de Covid, il va falloir re-attirer tout ce monde au bureau.
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